TRANSMISSION ...
... ISOLATION
... because he sang as deep voice
as a cello
tipped with a flame ...
ACTE II
LES CIRCONSTANCES.
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Samedi, six octobre : je me marie dans une petite ville située non loin de Stettin (Poland)…
Je suis heureux.
Les deux cents invités ont profité des repas, de la vodka et de l’ambiance musicale pendant trois jours !
Je suis crevé, mais heureux !
Le dix octobre, je retourne vers la Belgique.
Mais tout seul !
Non !
Ma femme ne m’a pas déjà quitté !
Elle doit régler des problèmes administratifs avec les autorités !
Cela peut durer de longues semaines ?
Je déprime grave au poste-frontière avec la RDA…
Voyage en enfer, surveillé par les flics qui patrouillent dans des voitures en plastic…
De l’essence frelatée à des prix exorbitants, de la goulasche infecte et du coca inodore !
Prudence et respect des limitations de vitesse, surtout ne pas se faire remarquer !
Marienborn : on quitte la RDA sous l’œil des Vopos et des miradors…
Quelques kilomètres, les Yankees sont là !
Helmstedt et ses lumières, sa liberté, sa première station de carburant, du vrai coca cola…
OUF !
Au petit matin, les lumières de Bruxelles se rapprochent…
De retour au bercail, mais tout seul…
Je grille clope sur clope, j’avale vodka sur vodka…
Je déprime…
Je broie du noir !
Y a qu’à moi que ce genre d’aventure arrive : je trouve la femme de ma vie, je me marie avec elle, et je reviens tout seul ?
Je ne ferais jamais rien comme les gens normaux !
Faut que j’aille au taf !
Faut gagner sa vie pour croûter normal !
Mes collègues de travail m’interrogent sur ma situation matrimoniale ?
J’ai envie de les étrangler !
Je chiale chez moi, tout seul !
Fredo, mon meilleur pote vient fumer et carburer avec moi : c’est un vrai pote !
Il m’invite pour le concert de l’automne au Plan K !
Ah bon ?
Et c’est quoi comme groupes ?
C’est Cabaret Voltaire.
Et Joy Division.
Moi, pas connaître ces groupes…
J’écoute Bijou, Père Ubu, The Names, The Klang, Marquis de Sade…
Fredo me dit que Cabaret Voltaire fait de l’industriel, et Joy Division de la new wave !
Ok pour l’invite
LE JOUR J. (J : pour Joy Division !).
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Mardi 16 octobre, j’ai fini de bosser à 16 heures…
Passage obligé chez un épicier turc du quartier : achat de clopes et bouteilles de Tuborg…
Fredo arrive vers 17 heures, il est nippé cuir rouge et noir.
On se roule quelques joints pour se mettre en condition, j’ai branché un LP du Led Zep’.
Whole lotta love ???
On boit quelques chopes…Je m’habille : en noir comme mon état d’esprit !
La Renault 5 TL toussote un peu mais on roule !
Traversée de Bruxelles vers le canal…
On se gare non loin de la rue de Manchester, le soir nous arrive en pleine tronche, le vent aussi…
Plein de petits dealers nous accostent, Fredo achète un pacson.
Il y a foule, des post-punks, des new’s branchés, des journaleux qui savent tout, des filles déguisées en carnaval…
Avec nos longs tifs, on ne passe pas inaperçu !
Y a même des mecs qui se moquent ?
Le Plan K a déjà vécu cet après-midi un solide événement : le pape de la « Beat Generation », à savoir William Burroughs était présent pour une représentation d’une troupe d’avant-garde qui récitait ses textes !
D’après les conversations, il serait là pour voir Joy Division ?
J’ai pas lu Burroughs, je préférais Jack Kérouac et Grégory Corso ou Miller…
On se bouscule dans toutes les salles, on fume des clopes, dans les coins discrets : des joints !
Fredo est parti pour le ravitaillement : des gobelets de bière sans mousse et tiède !
On boit, on écoute la musique des Stranglers…
On a même droit, Burroughs oblige ( ?) au Velvet Underground…
Je rêve de Nico, de John Cale et de Lou Reed…
Je croise quelques filles que j’ai connues, des anciens potes recyclés en « branchitude new wave »…
Y a plein de salles, des expos, des couloirs, des escaliers, des rambardes…
Le son est énorme…
Cabaret Voltaire se pointe sur une scène mal éclairée…Tonnerre de décibels et d’applauses !
Trois mecs : deux guitaristes, un orgue électronique…Des sons venus tout droit d’une usine = de la merde question musique !
Je déprime grave avec ce trio, je me tire pour tirer sur un pétard…
J’ai pas envie d’écouter cela…Je suis accosté par des filles qui veulent tirer sur mon joint…
On commence à planer à plusieurs…Fredo se joint (ah ah !) à nous…
On revient vers la scène, y a un vieux mec avec des lunettes qui est entouré d’une meute de journalistes rock !
Oui ! Burroughs semble être présent ?
Ou, son sosie ?
Allez savoir ?
On entend le groupe The Shirts : de la musique industrielle romantique !
Un entracte durant de longues minutes…J’ai rencontré Nadine, une fille qui bosse avec moi.
Venue pour s’encanailler ?
Grande blonde avec des lentilles de contact, sympa, un peu paumée parmi la faune new wave !
Elle s’accroche à mon bras, à mon pétard aussi !
Fredo lui offre une bière, on va la dévergonder ?
La scène s’éclaire, puis s’éteint ?
Des punks poussent des cris : « We want Joy Division ! »…
Ils sont là, un rythme lancinant de basse métallique qui claque comme une gifle sur ma figure, des roulements syncopés accompagnent la basse…
On ne distingue pas le drummer, mais le bassiste se dandine avec sa basse presque aux genoux…
Il est à droite, le guitariste arrache des riffs qui hurlent dans mes oreilles…
Un grand mec aux yeux tristes, planté devant un micro, bredouille un début de chanson !
Je suis tétanisé par les yeux du mec !
Le son décolle, le rythme est rageur, mais froid et métallique avec des intonations disco ?
Oui ! Sérieux, j’ai envie de danser !
Le chanteur commence à se déhancher comme un pantin disloqué !
La voix a des intonations de Jim Morrison, d’Iggy Pop…Du lugubre…
Le public est conquis, le son punk est violent, tout s’enchaîne, les chansons, les riffs démoniaques…
Tel un clown désarticulé, Ian Curtis nous livre ses chansons, son univers étrange, une messe sans Dieu !
Est-ce possible ?
Oui !
C’est magique, Nadine me serre la main…Mes yeux ne quittent pas ceux du chanteur…
Il n’y a pas d’artifices, Joy Division nous livre des chansons, un spleen mancunien…
Tout à coup, le miracle dans ma tête, le déclic humain : je me mets à danser sur ce rythme punk…
Ma déprime est loin derrière moi…
Fredo est aux anges, Nadine est chez le diable…
Le public réagit, applaudit à tout rompre et pogo-danse à qui mieux mieux…
Le voisinage de Burroughs observe les réactions du vieux monsieur ?
Cela bouge dans tous les coins…Fredo énumère les titres les plus forts : « She’s Lost Control », « Shadowplay », « Discorder », « Atmosphere »…
Tout est excellent chez Joy Division, mêmes les incantations du chanteur qui a un jeu de scène extraordinaire…
Il semble habité par un démon qui danse à l’intérieur de son corps…
Cette débauche d’efforts ajoutée au chant subtil et profond le laisse dans un état physique désastreux !
Ses yeux clairs sont si tristes que beaucoup de filles le trouvent si mignon ?
Moi, aussi !
Le pogo se poursuit, tous nous nous bousculons en hurlant…
L’alcool, les joints, l’excitation…
Cela se termine en applaudissements nourris de cette musique venue d’un ailleurs inconnu.
Je vais très bien dans ma tête, un groupe de rock est parvenu à me recréer.
Même Nadine me semble jolie ?
Et Fredo aussi ?
Les commentaires d’après concert sont élogieux : « C’est le meilleur concert du Plan K ».
La foule s’étire sur la rue de Manchester…
On reprend ma R-bête, Fredo et Nadine planent très haut, ils veulent danser ?
Ok !
Je démarre, je me dirige vers la rue Haute…
Il y a un club privé dans la rue des Minimes, en plein dans le quartier des Marolles (le vrai cœur de Bruxelles !).
Je rêve toujours de la musique de la Division de la Joie…
Ce n’est que quelques jours plus-tard que je récupérerais totalement de la claque !
EPILOGUE :
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J’ai trouvé en import le LP « Unknown Pleasures »…
Très bonne musique, mais la magie n’y était plus ?
Il faut voir le chanteur pour apprécier Joy Division : c’est TOUT !
Ma femme est arrivée de Pologne avant Noël : je suis pleinement heureux.
Le 18 mai 1980, Ian Curtis se pend dans sa cuisine…
Dieu n’a pas voulu de LUI !
A écouter :
Le LP : Unknown Pleasures… Un must !
Le LP : Closer…dispensable…
JMC alias Crocmort…
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