NEZ à NEZ ...
... Les petits mouchoirs
Qui a éternué ?
N'avez-vous pas éternué ?
Quelqu'un n'a-t-il pas éternué ?
N'aurait-il pas été possible de se contenir,
de contenir, je vous le demande, au moins le temps de ce poème, les manifestations grippales les plus manifestes ?
Te rends-tu compte que lorsque tu vas capituler néanmoins, sera pulvérisé dans l'atmosphère déjà assez considérablement viciée de ton lieu de travail, un nuage nocif et virulent de pesticules dont il est certes difficile de deviner les intentions, ni l'évolution future, mais que l'on décrit, les plus hautes autorités médicales et politiques s'entendent à le faire, comme véloces et agressifs, et qui se disperseront pernicieusement dans la soupe atmosphérique où tu baignes, où s'agitent et transpirent tes chers et moins chers collègues ?
Ne feins de vouloir ouvrir la fenêtre, ces baies vitrées ne béent point, tu le sais ; le bouillon tiède du bocal est aspiré sans cesse, refoulé et brassé en un recyclage permanent au travers des étages, dans le cycle accéléré des réincarnations et mutations, sous le fouet mécanique de la climatisation !
As-tu dirigé, lorsque tu éternuas, ton souffle marmitteux dans le creux de ton coude ?
As-tu alors avec suffisamment de soin essuyé la morve mortifère dégouttant de ton nez, la salive de tes lèvres dans un léger carré de cellulose jetable, désigné sous le terme complaisant de mouchoir ?
(Il n'est pas interdit, faute de mouchoir jetable, avec toutefois davantage de précaution afin de ne point t'écorcher les narines, d'utiliser un torche-cul non moins jetable issu, plus grossièrement certes, de la même matière cellulosique.)
As-tu jeté le mouchoir jetable ou le torche-cul jetable dans la corbeille jetable destinée à cet usage exclusif ? T'es-tu lavé la bouche après avoir plus ou moins bisouillé, plaisir du matin, la douce peau doucereusement pathogène de Suzie ?
As-tu, aussitôt expectorée cette fantastique nuée d'êtres infréquentables, vicieux et mutants et féroces autant que des fourmi-lions, jeté ton pull en laine lavable dans un sac hermétiquement clos à usage unique ?
As-tu fait le tri entre les textiles simplement souillés de la sueur ordinaire, l'urine et de la merde ordinaires, et autres indéfinissables salissures ordinaires, entre ceux-ci disais-je (d'une part), et de l'autre ceux-là irradiés par les particules virales ?
Si tu n'as toi-même éternué en direction de ton coude, n'as-tu fréquenté un local insalubre, croisé un ami douteux à la sollicitation duquel tu as cédé et dont tu as pulsionnellement serré la pogne insane ?
Ne serait-il prudent en conséquence de rejeter au plus vite ta vêture du jour ?
N'allez brûler dans vos jardin les pulls contaminés au coude, vous participeriez à l'expansion du trou dans l'écorce d'ozone. A la main, lavez à la main vos pulls contaminés au coude, vous consommeriez sinon, à utiliser à l'étourdie votre machinerie électrique, une quantité insensée d'énergie, d'origine atomique selon la plus forte vraisemblance. Et n'usez non plus trop d'eau pour une lessive devenue plus fréquente (vous n'avez en vérité rien à vous mettre), pensez à ceux qui lèvent le doigt au fond de la classe pour aller humecter leurs lèvres à un fond d'écuelle bourbeux, d'un triste fleuve sans hippopotame.
Ce 11 septembre 2009 / Claude Vercey
Les jambes à son cou ( J.P. PAILLER )