ESPRIT CRIMINEL ...
... CATACOMBES
LA COMPLAINTE
DU CHARRON
C’est parce qu’il était charron
Qu’ y fabriquait d’ la charogne
Y savait fair’ crever les cons
Du côté d’ la Bourgogne
Le colonel l’aimait beaucoup
Y n’ manquait pas d’ courage
Tuait son homme du premier coup
Ah ! Il aimait la bell’ ouvrage !
Vers mil neuf cent et dix-huit
Sur la fin d’ la grande guerre
Mêm’ que les Boches prenaient la fuit’
Fallait y courir derrière
Savait ramper pendant des heur’
Et s’approcher des sentinell’
Puis leur enfonçait en plein coeur
Son espèce de gros Opinel
C’était une lame en bel acier
L’avait forgée dans sa jeuness’
Du temps qu’il était employé
Du côté de Bourg en Bress’
Y savait leur trancher le lard
Dans le gras de la poitrine
Y savait leur piquer son dard
Et ça n’était pas un crime
Illustration: P. CAZA
Quand est venu l’armistice
Y voulait plus fair’ le charron
Il est entré dans la police
Où qu’ y a de joyeux compagnons
C’est pas parc’ qu’ il n’est plus charron
Qu’ y fabrique de la charogne
Y continue à crever l’ bedon
A tous ceux qu’aiment pas les cognes
Le commissaire y l’aime beaucoup
Car il manque pas de courag’
Ensemble ils en ont fait des coups
Ah ! Ils aiment le bel ouvrage !
Des fois y frapp’ dans les manifs
Ou y cogne au fond des fourgons
Il n’a jamais eu son certif’
Mais y sait bien qui sont les cons
Un jour il a pris sa retrait’
Y s’est senti comme un manque
Y restait près d’ sa fenêt’
Où y dev’nait un peu branque
Y voyait passer la jeuness’
Qu’avait pas connu les tranchées
Pas moyen d’ leur botter les fess’
Restait plus qu’à s’ laisser crever
Un soir pour un bruit d’ mobylett’
Il a tiré sur un p’tit mec
L’a chopé en plein dans la têt’
Et l’autre il a fermé son bec
Quand ses copains flics sont venus
Il s’était bien tranché le cou
Avec sa lame et puis pendu
Il y avait du sang partout
On l'a enterré à la discrèt'
Dans la foss' où y a les putains
On va pas chercher la p'tit' bêt'
Au cimetierr' de Pantin
Y a pus d'charrons y a pus d'ouvriers
Qu'ont le goût d'la bell' ouvrage
Leur savoir faire est oublié
Et les tueurs sont à gages
Où est le temps qu'les tueurs
Y mettaient d'la patience
Et pratiquaient l'art majeur
Avec conscience
Où est le temps, le temps si doux
Va-t-il un jour revenir
Où se faire couper le cou
Etait un vrai plaisir ?
© 2003, Yves Frémion
Illustration: S. BATSAL