IVRES PENSEURS
IVRES PENSEURS
Défonce de s’afficher
( Fontainebleau 1972 )
Paul
s’appelait Philippe, les jours où l’on ne le surnommait ni Louis ni l’étranger.
Etat d’ivresse sur une base militaire c’est tout ce qu’ils ont retenu de ce
jour où il a couché avec les morts et tricoté une jolie couronne de tulipes à
sa folie…
- hé mec, j’espère que je vais pas tarder à crever. J’en peux vraiment plus ! Comment peux-tu encore rester calme avec cette connerie, cette glu autour de nous ? Vise la carrée… des miettes de pain, des litrons vides, des placards rouillés, du déjà vu par d’autres et beaucoup d’autres à venir… Une penderie entière de vestes de brigadier-chef, vert-kaki, vert-caca…verre Cola, verre Coca… Ricorée… Nicolas !!! Et au milieu de ce gourbi puant deux connards de deuxième classe qui attendent l’appel des punis comme on attend le tortillard de 23h 30 avant d’aller pioncer de retour de perm, la queue flasque et l’esprit ailleurs ! Merde, dis quelque chose, cause ! J’te fais chier avec mes discours, c’est ça, je t’emmerde… Roule ton pétard, fume et médite sur ton lit superposé comme si t’étais sur le toît du monde, pauvre con !!!
- Ouais, le calme. Plus zen que mort.
- Love and peace… Bon Dieu, chasseur pas exempt, 59 au jus !
- La défonce, pas la même hélas.
- Lâche moi la grappe avec ton herbe à vache ; dans le casque lourd y’a un litre de pastaga pur, c’est autre chose que ton gazon, tu y viendras !
- Toi aussi !
- Des champignons poussent dans les douches. Y’a des puces dans les pèlerines, des pâtés de sangliers qui faisandent dans les armoires, de vieux peignes tout gras dans les lavabos… Ici, mec, ça pue le cassoulet et les troupes… ton encens, tu peux t’le mettre dans le cul, gourou de mes deux ! Moi, j’ai soif, tellement soif et je ne pourrai jamais fumer dans cet endroit.
- Moi, si car ils ne sauront jamais, ils ne comprendront jamais…
- Qu’est-ce qu’il y a à comprendre ?
- Tu le sais parfaitement.
- Ouais, la culture.
- C’est ça Paul, ça doit être la Kulture Il n’est pas nécessaire de savoir exactement pourquoi on est là tous les deux, ni comment on va s’en tirer mais on le fait à fond. C’est là dans notre tête l’étau de plomb ; dans notre cœur les palpitations, dans notre chair les tremblements et soudain on explose… On brise les carreaux, on rie en orage, on cogne sur les frontières, on brûle notre pyjama et merde… on est dedans ! tu as compris, pigé ?
- J’ai toujours compris. Trop tôt hélas sinon j’aurai eu une vie peinarde au milieu des cons et j’aurai fabriqué des gosses les plus cons possible pour qu’ils pétillent de connerie dans des boites, petites boites, très étroites…
- Sale coup pour toi le cercueil étanche ;
- Sur.
- Avis de l’adjudant Freichoux : état d’ivresse très marqué.
- Avis du Capitaine Martin : toxycomania is a very good way to paranoia.
- Comment tu t’es démmerdé pour ramasser trois semaines d’arrêt ?
- Une fausse moustache .. !
- Quoi, une fausse moustache ???
- Y’a huit jours, samedi soir, Orléans 20h30.
- T’habites Orléans ,
- Oui,mec. Des Beats foirreux
dans ton genre zonaient nu-pied autour du super marché à la recherche du moindre
cube de Merde. Z’ont rien trouvé sous mon béret de tringlot. Du coup se
sont envoyés en l’air à la Pelfort brune ; La province a quelque chose
d’extrèmement angoissant ; c’est vraiment impossible d’y vivre de riz
complet. Il est nettement hors de question de ne pas se prendre une biture les
soirs où les notables soupent en famille. Tu me suis ?
- Sur, t’es toi-même un fils de
bourge.
- Flic, t’es qu’un flic, un voyeur
de grand chemin.
- Pas moi, le hash seulement.
- Pourquoi tu ris ?
- Rien à expliquer. J’suis stoned,
t’es saoul ; Continues ton histoire, dialoguons comme des sourds.
- Dans la Simca 1000, ils étaient
trois au milieu de deux caisses de bières. Le chauffeur était quasiment dans le
coma, le passager de la banquette arrière se fixait un rétroviseur sur les
oreilles ; on est jamais trop prudent. Le gus assis à la place du mort
tenait entre ses mains une 22 long Riffle chargée. Par la vitre baissée, je me
rafraîchissais le visage au vent de la nuit ; Très vivifiant ce zef, ça me
décuitait un peu…
- Qu’est-ce-que tu me tournes comme
film ?
- Tu veux savoir oui ou merde ,
- Vas-y Louis, passe la troisième…
- OK. Point mort, double débrayage…
Nous sommes la fleur des moniteurs du CIT 51 comme le Pastis. A la tienne,
instructeur, amateur d’herbe folle. Donc on arrive sur les bords de la Loire
- Putain, au fait !
- En vlà un ! Trois détonations
sèches… Touché ! ils l’ont balancé dans le coffre parmi les autres.
C’était le huitième, un bon gros rat noir, un rat d’égout, notre frère, troué
comme une passoire… Et tu sais quoi ?
- Non.
- Le rongeur portait une fausse
moustache. Un travelo, on avait flingué un travelo !
- T’es con, arrête le pastaga, tu
débloques…
la suite demain...
