THE BORDER ( la frontière )
BAGDAD HOTEL / Téhéran / 22h.06 et quelques poussières de
secondes pourpres…
Nous sommes tous réunis dans la cour intérieure autour d’une
table sur des chaises ou assis sur le sol.
Trapèze qui te fait tourner
Trapèze qui te fait danser
Nous avons mangé, fumé, allumé trois bougies pour éclairer
la nuit tombante sous le ciel persan. Un transistor crache dans une chambrée voisine une mélodie chantée
accompagnée au Târ, le patron nous a apporté une grande théière et plusieurs
verres.
Il y a Michi, le lutin japonais, avec son drapeau cousu sur
le sac à dos, qui fait le tour du monde. C’est un rituel, un passage
obligatoire, après avoir bouclé ses études, juste avant de prendre un poste
important dans une multinationale. Il transporte 20 revues pornos achetées au
Danemark qu’ils troquent dans chaque ville.
Ramures… Gravures.. Gageures… foutre le Feu à la
sagesse !
Claudius vient de Nancy, il voyage en solitaire. Rusé,
filou, séducteur. Son but, le sud de l’Inde. Albert est allemand comme son
prénom ne l’indique pas. Il est timide et rangé très politisé, gauche extrême.
Il ne communique avec nous qu’en anglais.On l'appelle Klaus. Serge et Jonas, deux zonards
toulousains, toxicos. Les guerriers, notre force de frappe. Serge, grand,
élancé, osseux, les cheveux raides très longs ; Jonas qu’on surnomme le
Pachyderme, 110 kilos de graisse flasque et de tatouages, le crâne rasé,
une barbe de trois semaines. Ils sortent de taule, en conditionnelle. Ils se
sont fait la malle. Leur unique but : du shit ;leur programme :
ne pas revenir.
Pris par surprise… pris par erreur… pris au piège… pris sans
rêve pour périr en photo en profil de casier judiciaire… prière d’incinérer…
Dans l’arrière salle du café sous la nappe en plastique ils
échangeaient rials contre cube de savon… le fameux savon pourpre. Putain, quel
frayeur, ces deux nazes !
Ecordé… écorsorcier… ècre… ocre.. ibisopiacé… Chanvre de potence...
J’écris sur mon carnet de voyage ou plutôt je balance
quelques mots vraiment au hasard. Certains lavent du linge, un slip, une
chemise. Serge fait la même réussite, tous les soirs, tous les soirs et …
il perd. Par bus, en stop, en camions, tous sont fidèles au rendez-vous.
Cobra à la frontière entre la Turquie et l'Iran.
Dominique, rencontré l’année précédente à Marmaris, le Saint
Tropez turc , pas encore ravagé par le
tourisme de masse. Il voyageait avec Jeanine, une belle rousse. C’est
l’artiste, le dessinateur, le roi de l’aquarelle. Cette année, c’est avec
Jean-Pierre, un étudiant en EPS qui découvre l’univers des Freaks. Ce soir, JP
ne comprend absolument pas ce qui lui arrive.Il est raide-défoncé et c’est une
première ! Eux, ils ont décidé de s’arrêter en Afghanistan.
Rimanogriffant… romanogrisant… grassasié…gonjointant…
gongarandissant…
- et les deux ploucs du couloir !
- ceux qui voulaient aller au Népal en train ?
- ceux qui situaient Kathmandu en Inde ??? Rire général.
- N’empêche que bloqués 40 minutes dans ce putain de tunnel…
- Avec la fumée de la loco qui rentrait par les fenêtres
ouvertes. On étouffait quelle angoisse !
- J’ai flippé !
- Moi aussi !
- Et les deux cons ???
- Y sont restés à Erzurum ! Rire général.
Un boeing détourné qui s’évapore… Mon double s’insurge au
sixième degré… linceuls… limbes marines astrales.. rideau noir…
Joëy se lève, c’est la seule fille du groupe, l’Impératrice.
C’est elle qui négocie, qui donne le la. Nous sommes le seul couple. Un drôle de
statut dans cette horde sauvage. Privilèges et devoirs. Je referme mon cahier.
- à demain !
On regagne notre piaule à l’autre bout de la cour.
Infini… indéfiniment différent.
C’est ma dernière phrase. Celle là, je la garde. J’aurai
écrit trois mots, ce soir. Pas si mal.

Le routier, Cobra, Dominique T et un militaire afghan.