... VENT de face pour Andy EOLE

 

 

Odysée

 

Vents de face pour Andy Eole  

 

Des rafales d'eau salée me giflaient le visage.

Nous approchions de la cote ouest d'Eolia, rocheuse, volcanique, impénétrable.

Une forêt de mats de misaine émergeait du sable des profondeurs, échoués là depuis des siècles de tempêtes. Notre rafiot slalomait entre les piques acérées, évitant le ressac dans les anfractuosités.

Nikos Kavvadias, notre capitaine, un pilote émérite se jouait des obstacles avec délectation. Nous y étions enfin après un si long périple. Il ne restait plus qu'à franchir le sas d'entrée de l'isthme avec la bienveillance du maître des lieux, le marquis d'Eole. Nous avions vaincu la première partie des épreuves et c'est en Guest Star que nous foulions maintenant la terre ferme.

Déjà le mur de bronze qui entourait l'île flottante se refermait pour barrer l'accès à d'éventuels skippers indésirables.

Devant nous une forêt d'éoliennes étendait sa majesté : des aérogénérateurs Verolia II Blowin'in the wind et les fameuses éoliennes pompeuses d'eau les Bollées du Zéphir. Mes compagnons étaient admiratifs. Nous marchions au milieu de cadavres d'oiseaux marins déchiquetés par les palmes gigantesques. Une bouillie de plumes, de becs, d'os, d'ailes, de pélicans, mouettes, goélands et autres macareux. Le bruit était infernal, un souffle continue, qui par moment nous soulevait de terre et nous propulsait sur plusieurs mètres. Nous étions loin du chant des sirènes qui nous avait hypnotisé au large provoquant la perte de trois compagnons devenus irrémédiablement déments. Ils s'étaient mutilés avant de se jeter dans l'océan. Ce n'était pas cette musique volup-tueuse, bouleversante mais un halètement brutal, une respiration mécanique, les vibrations d'une centaine de vrombissements assourdissants.

Soudain apparut un cavalier, un vieil homme casqué, armé d'une lance.

- Voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu'ils sont. Avec leurs dépouilles nous commencerons à nous enrichir ; car c'est prise de bonne guerre, et c'est grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre

 

Tour à tour, il chargea les éoliennes avant d'aller rouler dans la poussière, désarçonné.

Son valet, un petit gros, perché sur un mulet maigrichon, le toisait, dépité et résigné.

- Mirase bien lo que hacía, que no eran sino molinos de viento, y no lo podía ignorar sino quien llevase otros tales en la cabeza? murmura-t-il avec un fort accent castillan.

 

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Abandonnant le pauvre homme à ses chimères et son serviteur à son ressentiment, nous gagnions le lieu de la convention, un vortex tropical, sécurisé, d'où s'échappait un jazz-rock fusion totalement ésotérique. C'est là que se tenait la conférence internationale sur le dérèglement climatique.

Un orateur évoquait le situation à Paris, non sans humour.

  • 37,2° l'après midi. La canicule ravage la capitale. Comment frimer à Paris Plage ?

Vais-je enfiler mon itsy bitsy tiny bikini rouge et vert à p'tits pois ou mon Burkini vert olive ???

  • à poil, à poil !  hurlèrent les spectateurs visiblement déchirés par une double consommation d'herbe de la garrigue et de ti punch coco.

L'ambiance était chaude, un tantinet graveleuse malgré les ventilateurs et les brumisateurs.

Dans la foule hilare, je reconnus le gotha des navigateurs. Tous les plus grands étaient là, invités parmi les scientifiques et les politiciens pour la plus noble cause actuelle : la défense de la planète.

Je reconnus facilement le corsaire rouge, le corsaire noir, le fils du corsaire rouge, le petit fils du corsaire noir, le capitaine Fracasse, le capitaine Rascasse, le capitaine Blackbass, le commandant Coustaud, Simbad, le marin,  le capitaine Nemo, le capitaine Haddock, le capitaine De Pédalo, le capitaine Beefheart, l'amiral Nelson, Alain Bombard, Corto Maltese, Barbe Noire, Jacquotte Deahaye, Anne Dieu-le-Veut, Ching Yih Saou, Saddie Farrell ….  mais j'arrête là mon inventaire, la collection complète du QUETTON ne suffirait pas à tous les nommer !!! 

 

Il y eut un court intermède commercial avec la présentation des produits phare de la gamme EOLIA, l'énergie dans le vent, puis le marquis d’Éole fit son apparition sur scène sous un tonnerre d'applaudissements.

  • Mes chers amis, voici le moment tant attendu du concours d'éloquence. Le thème retenu, c'est la mer. THALASSA. Il n'y a rien de plus normal en ce lieu. Cette année, la récompense, le premier prix dépassera toutes vos espérances. Mais, je ne vous en dit pas plus. C'est une surprise !  À votre tour d'être convaincant... et comme le dit le poète : je te salue vieil océan !!!

Le premier candidat fut un ancien chanteur engagé qui avait retourné sa veste en embrassant un flic. Depuis quelques années il se nourrissait davantage d'anis vert, étoilé de fenouil que de graine d'ananar d'où cette soudaine dérive.

Ce nouveau régime l'avait dévasté mais ce soir il reprenait un de ces thèmes de prédilection avec une chanson à boire :

  • C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme ! Ah,ah,ah.

  • Dès que le vent soufflera, casse-toi. Dégage ! reprit la foule.

Une bordée d'insultes et au suivant.

Le reste fut insipide. Tout y passa. Les vieilles reprises : Nouvelle vague, Santiano, la ligne Hollworth, La Marie-Joseph...

Des chansons de marins : La jambe de bois, la Marine, j'aime la mer comme une femme, y'a du tangage...

Puis les poètes avec ou sans port d'attache : bateau Ivre et embarquement pour Cythère se succédèrent jusqu'à la nausée.

Le dernier à passer fut un ancien ministre à pompes carrées. Il citait Pagnol :

- Si vous voulez aller en mer sans aucun risque de chavirer alors n'achetez pas un bateau, achetez une île.

C'était de toute évidence un compliment adressé au Marquis, une vile flatterie, une demande déguisée de fonds pour sa prochaine campagne électorale. L'assistance était médusée de tant d'outrecuidance.

Le temps des délibérations, le quatuor Vents contraires émerveilla l'assistance d'une suite les voiles du swing.

Enfin le Maître des vents fit son retour sur scène.

Applaudissements nourris puis un long silence, pesant, épuisant. Andy s'amusait de notre attente.

  • Mesdames, messieurs, le vainqueur est Léon Cobra pour son superbe poème :Vents d'anges, Vents de sable.

C'est avec grand plaisir que je lui remets le premier prix : l'outre d'or !

 

Ensuite je ne me souviens de plus grand chose. Ce fut une fiesta d'enfer avec mes compagnons de route. Je suis tombé raide.

Au petit matin quand je refis surface, je ne pus malheureusement que constater que l'outre avait disparue ,mon bateau et mes compagnons aussi.

Je confiais ma détresse au Marquis d'Eole qui éclata de rire.

  • Vois-tu. Dans cette outre j'avais enfermé tous les vents de la terre. Tes compagnons, ces crétins ont pensé qu'elle contenait je ne sais quoi, de l'or, du vin, un Pokémon rare, une formule magique. Ils te l'ont dérobée et l'ont ouverte ; Les imbéciles ! Ils ont libéré un tsunami qui les a emporté dans l'Hadès!

  • Quelle Odyssée ! fis-je simplement

  • Mon yacht, le Princesse Kassos, va te reconduire chez toi. Reviens et tente ta chance l'année prochaine.

  • Merci. Je vais réfléchir.

 

Dehors, le vieil homme chargeait toujours les éoliennes. Son cheval écumait. Son serviteur se désolait.

Le vent commençait à mugir...

Léon Cobra.

 

Cette Fable a été publiée dans QUETTON N° 32-33 ( neuvième formule d'une revue fondée en 1967 ) qui vient juste de sortir avec au menu Livache, Rémy, Larnac, little Shiva, Sourdin, Tillier, Embareck, Voyer, etc... sans oublier l'incontournable J.F. R. Yaset  + le cahier de poésie hérétique 33 consacré à Julien BLAINE !

 

les oiseaux