CANAPéS d'ENCRES ...
... NOVEMBRE en nos AMES
GUEST STAR N° 20:
Géraldine SERBOURDIN
Géraldine Serbourdin a publié sa poésie délicate et incisive dans de nombreuse revues comme Décharge, Traction Brabant, le Capital des Mots et la Revue Cabaret (une publication qui met en avant les écritures féminines).
Le numéro 35 de la Nouvelle Revue Moderne est entièrement consacrée à son écriture qui rebondit sur des collages de Philippe Lemaire. Un boomerang dévastateur !
Le Tréponème Bleu Pâle vous propose aujourd'hui trois textes totalement inédits, écrits dans les limbes de ce Novembre Noir. Trois poèmes dont certains mots résonnent comme des stigmates:
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à leurs corps encore se cogner
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dark rock & blues
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tombe en ma bouche
Du Point Ephémère au Bataclan , le chemin est une longue amputation.
il y a un but mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation.( F. Kafka )
Extraits du Recueil
NOVEMBRE EN NOS AMES
( Géraldine Serbourdin )
À leurs corps encore se cogner
Mes élans se fracassent à chaque fois Mes mains se cognent à tous les corps Ma chair, penaude, est tout ennui Mes yeux s'embuent tout le temps Mes bras se tendent maladroitement, se referment honteusement, en se résignant, coupables d’envie.
Main sur la bouche.
Oh. Pardon.
Mes mots me reviennent la nuit Affadis Perdus Inouïs
Déformés par des rêves rugueux comme le réel, irritant ma peau qui s écorche. La peau qui se strie le jour des traces du désordre de la nuit, la peau qui se crispe à l’idée de commencer, à l’idée de reprendre, à l’idée d’aller. A l’idée de se lever. Les pas alors manquent d'allant. Le matin n’est déjà plus innocent.
Mon cœur a mal au cœur Mon corps a de la mémoire.
Et pourtant.
Mes mains se cognent encore à leurs corps. Les corps des hommes me font mal au cœur. Les corps des hommes sont larges. Les corps des hommes sont trop loin, pas à portée de mes mains et déjà morts quand je les touche. Déjà froids.
Les hommes se cabrent quand je les aime et ruent dans les brancards, boudent ou crient, parlent peu et se rhabillent. Me tournent le dos, droits et nus.
Marbres lisses. Beaux à pleurer. Tristes à crever.
Mes caresses tournent à vide. Mes élans se fracassent aux parois. Les contours s'estompent alors et je vois trouble, je confonds, je balbutie, je me perds, je m en vais, l'âme emplie d'amours incompris, la mémoire pleine de malaimants.
Le geste en suspens.
Oh. Pardon
Main sur la bouche.
illustration: Audrey Chapon
Dark, rock et blues
Dans le mois de la mémoire
des larmes ont coulé
sur des morts trop neuves,
ramassées sur les terrasses encore humides
des coulées de mousses bues dans la liesse,
se mêlant à du sang sur du metal hurlant.
Dans le mois du souvenir
des corps se traînent et s’en vont du canal, nous laissent, les suivant
blessés en dedans. Pâles et pantelants.
Dans le mois du recueillement
le silence a été troué de balles, la terreur a fait taire l’éternité.
Dans le mois du passé
un présent sanglant s’est imposé
et des corps sont tombés en cet automne malade où nous nous raccrochons aux branches des drapeaux.
Dark
Rock
et blues.
Tombe en ma bouche
Tombe en ma bouche
La colère quand d’autres encapuchonnés roulent, décampe et prient à tort et travers arborant des armes à tuer la chair
de feu les joyeux.
Tombe en ma bouche
Le défilé macabre d’images de sépultures de guerre, de charniers et fosses communes car on a traîné
des corps morts que l’on va devoir enterrer.
Tombe en ma bouche
L’impossible caresse des mots qui feraient consolation. Le difficile travail du deuil, trop ordonné,
parce que la barbarie ne peut être banalisée et que l’obscénité n’est pas fatalité.
Tombe en ma bouche
Les discours obséquieux quand le silence est espéré.
Tombe en ma bouche
L’indécente absence de bouches aujourd’hui dans des tombes.
( Daniel Hopfer )