VIDE POCHE ...

... EUGèNE PLéONASTIQUE POUBELLE



Deuxième invité de la SAISON II : Alain HELISSEN

http://alainhelissen.over-blog.com/

Les
déchets poétiques

J’ai jeté ce matin mon poème dans le container
en bas de l’immeuble, celui réservé au tri. Je l’avais
griffonné dans la nuit sur une page de mon carnet à spirales, moins
par nécessité que par l’espoir de me dérober ainsi à une
insomnie provoquée par des dérangements intestinaux. Des mots pour
effacer des maux de ventre. Le subterfuge n’a pas fonctionné. Je
n’évoquerai pas le contenu de ce poème, affligeant de nullité.
Et je ne pensais pas relater cet épisode s’il n’avait soulevé
une question des plus pertinentes :  « Que deviennent
les poèmes jetés à la poubelle ? Sont-ils recyclés au même
titre que les autres papiers, journaux, tracts publicitaires, cartons
d’emballage et bouteilles plastique ? » Auquel cas ils
redeviendraient du papier, vierge de toute inscription et prêt à
accueillir, par exemple, un nouveau poème. Il me plaît de croire
que les poèmes jetés à la poubelle sont soigneusement récupérés
pour figurer dans l’anthologie annuelle « déchets
poétiques ». Ainsi, mon poème, malgré son indiscutable
médiocrité, aura-t-il l’honneur d’occuper une page de cette
anthologie, alors même qu’aucun éditeur ne l’eût accepté,
fraîchement tombé dans sa boîte aux lettres. Ne serait-ce pas là
une façon d’éviter les refus en chaîne en garantissant un avenir
au pire de ses poèmes ? Poètes, je vous conseille de jeter
dorénavant tous vos poèmes dans une poubelle spécialement réservée
à cet effet − un carton fera l’affaire −. Ne croyez pas que
vous en serez déshonorés. L’anthologie des déchets poétiques
connaît un succès grandissant. C’est un peu « la poésie
pour les nuls », une initiation à la portée de tous. Mais, me
direz-vous, n’y a-t-il pas le risque, face à des poubelles pleines
de poèmes, que les anthologies ne puissent plus les accueillir
tous ? Et que mon poème, finalement, se retrouve bel et bien en
compagnie de prospectus publicitaires et de journaux, ballotté,
compressé, vidé de tout son jus d’encre et finalement blanchi,
lavé de tout soupçon, dépoétisé, en un mot, inexistant.

Alain Helissen