BORN TO LOSE ...
... SO ALONE
En complément de ma série la Fabuleuse épopée du Rock:
http://leoncobra.canalblog.com/archives/2010/11/29/index.html
Passez une nuit LIVE au Gibus avec Johnny Thunders !
You can’t
put yours arms round a memory
Ce qui est terrible à mon âge, 61 ans à 12h35, 62 au
treizième coup de minuit, c’est la luminosité ! L’éclairage tu le prends
en pleine poire, pas un cadeau ! Les rides ressortent pour dessiner de
sinueux chemins de croix autour du front, aux commissures des lèvres et bien
sur de monstrueuses cernes autour des yeux. FIAT LUX … la lumière te sculpte,
ses rayons blanchâtres, jaunâtres, verdâtres,
bleuâtres, te peignent en relief… Lumen, cette vérité qui
oblige tous les pigistes de magazines Rock à disparaître derrière leurs
lunettes de soleil, Ray Ban Aviator
de préférence. Lumen, même au fin fond des caves de répétition les plus
obscures, lumen même sous les sunlights givrés-coruscants-fluides des Zéniths
de province et surtout sous les projos des plateaux de télévision. Des
crevasses dissimulées sous le fond de teint térébenthine de la nouvelle pate à (re)modeler !!!
Pauvres choux et la légende bordel : le rock, ça marque et ça
conserve !!! Je ne sais plus quelle enflure a sorti ce poncif définitif
mais faudrait assurer, les mecs : montrez la, votre gueule ravagée par la
vie ! Faut croire qu’ils ont tous un contrat exclusif avec un opticien…
C’est dingue ce que les enfants du rock ont du mal à passer
la soixantaine… overdoses, suicides, accidents de bagnoles, sida , défenestration
ou même pire recyclage comme animateurs de télé-réalité ou de centre commercial,
arrêtez le massacre !
Alors je ne vous dis pas le plaisir vicelard que je me
prends à feuilleter un magazine rock en commençant bien sur par la rubrique
nécrologique. Ah ouais, celui là, je l’ai vu sur scène en 1966, 1969, 1976,
1979…
Si loin, si proche ; nos héros guitaristes.
Tiens, Johnny Thunders, son concert au Gibus, c’était en
quelle année déjà ? C’est bizarre, je n’arrive vraiment plus à le situer.
18, Rue du Faubourg du Temple. Un couple très punky se
dirige vers le Gibus, je leur emboîte le pas et descends les marches qui
conduisent au club. Trois gorilles les soulagent de 30 balles et leurs refilent
un ticson donnant droit à une consommation. Un type plus âgé est assis à coté
d’eux et repère les nouveaux venus sur le circuit audiovisuel qui filme
l’extérieur. Un vieux mégot juteux pend collé à sa lèvre inférieure. Je me
dirige tout droit vers lui.
- Bonsoir, est- ce que
Marc Blanc est arrivé, je dois l’aider à installer la sono ?
- C’est quoi ton
nom ?
- Cobra !
Il jette un regard évasif vers des feuilles éparses qui
trônent entre une bouteille de bière, un paquet de cigarettes et des gâteaux
secs.
- Vas-y. Il est au bar. Il t’attend.
Putain, la vielle sono d’AME SON… Elle qui a connu la ronde
infernale des galas et festivals de l’ère Psyké ; Amougies, Biot, Orange
et cinquante MJC de merde entre Strasbourg et Chaville, la voilà recyclée comme
une vieille pute au service de la culture Punk ! C’est comme ça qu’il
assurait les fins de mois, Marco. Pas trop compliqué comme job, pousser tous
les boutons à fond et espérer qu’aucun court circuit ne brise net le show. Elle
avait supporté The Damned ; elle tiendrait bien encore ce soir. Le plus
chiant, c’était de décharger le mini-bus, de descendre l’escalier avec les
enceintes et la table de mixage et de remballer à l’aube . C’était la deuxième
fois que j’opérais avec lui, juste pour le fun, pour rien au monde je n’aurai
raté le mythique Johnny Thunders ! De son vrai nom John Anthony Genzale
Junior, né le 15 Juillet 1952 en Floride, guitariste soliste des Dolls de 1972
à 1975 en pleine période de Glam Rock. Il quitte ensuite les NYD avec le
batteur Jerry Nolan pour fonder les Heartbreakers avec Richard Hell, ancien
bassiste de Television. De rupture en reformation, le revoilà surfant sur la
vague Punk. Ce soir au Gibus bientôt à cinq mètres de nous…
Marc déroule et branche les derniers câbles, je me dirige
vers la pizzeria et m’installe près du flipper commandant une Quatre Saisons et
un pichet de rosé.
Je repense à Aspic dans ce décors bateau, c’est lui qui
m’avait traîné presque de force au Gibus par une nuit de Novembre… « Tu
vas voir, mec, un truc dément, des gosses de 18 ans qui jouent le Rock comme
personne. C’est speedy, dirty, les Mods des années 66, les Who de My
Generation, les Troggs de I want you, du TNT ! Tu vas en
prendre plein tes oreilles de vieux con… » Métal Urbain jouait ce soir là. Sur, j’ai
dégusté, j’m’attendais pas à cette avalanche de décibels, ce mélange d’acier
parasite, hurlant, geignant, dégueulant sur mon orthodoxie musicale. J’ai pas
compris l’ombre d’une parole dans leurs textes, même sans batterie tout était
saturé par le rif des guitares mais l’électrochoc est passé, ça me semblait
nettement plus intéressant que le jazz-rock qu’on distillait ici auparavant.
Y’avait une pulsion véridique, un feeling… Pas celui de la maîtrise technique
et de la virtuosité mais celui de la révolte, de la gangrène, de l’envie de
jouer sans complexe. Le monstre dont le Flower Power avait accouché était là dans toute sa laideur, dans toute son
authenticité. La génération du Néant se mettait à vivre ou plutôt à se
suicider dans un fracas destructeur ! Ce coté nihiliste me plaisait bien,
j’étais converti…
Mongolo était un mongolien. La
batterie hachée, le synthé, c’est Devo… Mongoloïd. Un Teddy-Boy de
magazine branle le flip et fait vibrer mon assiette. Une folle, cheveux
oranges, tout en skaï mauve traîne son copain avec une laisse de chien .
Il a les lèvres tomate mure et son jean en haillons balaye le sol. Les lunettes
noires, les tennis blancs, les badges brillent sous les projos en une ronde
maladive. Sex, drugs & rock’n’roll diffuse la sono. Je m’essuie la
bouche et passe de l’autre coté. La foule commence à arriver. Johnny
Thunders et ses Heartbreakers, enfin ce qu’il en reste, ne doivent pas
passer avant 1 heure du matin mais personne ne veut rater le fondateur des New
York Dolls. Trois filles s’envoient valdinguer par des charges à l’épaule
répétées sous les regards absents du public. Le DJ enchaîne avec Anarchy in
the U.K. des Pistols. Johnny Rotten crache son venin : « je ne
sais pas ce que je veux mais je sais comment l’obtenir. Je veux tout casser,
tout détruire. Je veux être Anarchie ! » Les danseurs de Pogo
envahissent l’espace libre, se bousculent, se battent, braillent et cassent
quelques canettes de Kro. Un blondinet à crête en débardeur délavé sautille
sur les tessons déformés par les flashs du stroboscope, les liquettes blanches
de détachent phosphorescentes puis la fièvre passe et l’assemblée se tortille
en cadence sur le Punky Reggae Party de Bob Marley.
Le Gibus se remplit. Les
musiciens d’Asphalte Jungle, le sombre Pacadis et sa bosse de dromadaire, tous
les descendants parisiens des Stooges et des Fugs… C’est la déferlante…
Ramones, Iggy, Clash, Damned… La salle est fin prête à accueillir enfin la
star. Je m’accoude au bar, juché sur un tabouret, accroché à ma bière. Avec
Marc on se regarde, il y a comme un décalage, nous ne sommes plus réellement
acteurs comme en 1969 plutôt des spectateurs presque des voyeurs. J’ai atteint
la trentaine et tout ça me parait un peu réchauffé…
Johnny arrive par derrière la
scène avec ses musiciens et se branche. Il est complètement raide, il attaque
sous les applaudissements. Le son est saturé mais les voix dominent l’ensemble,
Marc a bien réussi la balance. Il ne reste plus au groupe qu’à pousser leurs
amplis à fond pour se couvrir mutuellement dans la pure tradition du Punk LIVE …Jean-Pierre
Kalfon s’est installé sur l’estrade au pied du groupe avec une bouteille de
champagne qu’il passe à Johnny T. entre les morceaux. Celui-ci boit au goulot
puis enchaine. Avec son groupe Kalfon Rock Chaud, il se la joue, lui aussi
french Heartbreakers, déglingue assurée comme aux plus belles heures de la Coupole. Il
Applaudissements à tout rompre…
Johnny T revient pour un bis … Great big kiss peut être ou autre
chose, je n’en sais trop rien. Trou de mémoire… ce qui est sur, c’est que la
sono d’AME SON a tenu le choc et Johnny Thunders aussi malgré ( ou grâce à ) la
quantité de drogues et d’alcool consommés. Seul, Keith Richards, ou un mammouth
auraient supporté une telle charge !
Johnny Tonnerre est mort le 23 Avril 1991. On a retrouvé son
corps dans un hôtel miteux de la Nouvelle
Orléans
Cobra / 11/01/2010 22:33:27
SO ALONE