Lettre
aux recteurs des Universités européennes
[ la Révolution Surréaliste
Monsieur le Recteur,
Dans la citerne étroite que vous appellez « Pensée », les rayons
spirituels pourrissent comme de la paille. Assez de jeu de langue, d’artifices
de syntaxe, de jongleries de formules, il y a à trouver maintenant la grande
Loi du cœur, la Loi
Mais la race des prophètes s’est éteinte. L’Europe se cristallise, se momifie
lentement sous les bandelettes de ses frontières, de ses usines, de ses
tribunaux, de ses universités. L’Esprit gelé craque entre les ais minéraux qui
se resserrent sur lui. La faute en est à vos systèmes moisis, à votre logique
de 2 et 2 font 4, la faute en est à vous, Recteurs, pris au filet des
syllogismes. Vous fabriquez des ingénieurs, des magistrats, des médecins à qui
échappent les vrais mystères du corps, les lois cosmiques de l’être, de faux
savants aveugles dans l’outre-terre, des philosophes qui prétendent à
reconstruire l’Esprit. Le plus petit acte de création spontanée est un monde
plus complexe et plus révélateur qu’une quelconque métaphysique.
Laissez-nous donc, Messieurs, vous n’êtes que des usurpateurs. De quel droit
prétendez-vous canaliser l’intelligence, décerner des brevets d’esprit ?
Vous ne savez rien de l’Esprit, vous ignorez ses ramifications les plus cachées
et les plus essentielles, ces empreintes fossiles si proches des sources de
nous-même, ces traces que nous parvenons parfois à relever sur les gisements
les plus obscurs de nos cerveaux.
Au nom même de votre logique, nous vous disons : la vie pue, Messieurs.
Regardez un instant vos faces, considérez vos produits. A travers le crible de
vos diplômes, passe une jeunesse efflanquée, perdue. Vous êtes la plaie d’un
monde, Messieurs, et c’est tant mieux pour ce monde, mais qu’il se pense un peu
moins à la tête de l’humanité.
[ On peut lire les principaux textes de la
période Surréaliste notamment dans les Oeuvres éditées par Quarto / Gallimard,
dans l'édition des Oeuvres Complètes dirigée par Paule Thevenin ou dans
l'Ombilic des Limbes dans l'édition Poésie / Gallimard ]