... FREAKS ' STREET
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Nuit blanche à l'Oriental Lodge
Nous y voilà: FREAKS ' STREET, la carte postale idéale; négatif de défonces-labyrinthes, positif de nervures de l'esprit ! Freaks'Street dans un Katmandou où la drogue était en vente libre, bien sur mais pas seulement... Vibrations, clichés, quelques affiches, un texte, des instants de vie, dans un Hier-Ailleurs figé dans l'espace et le temps... Freaks ' Street, bien à vous, promeneurs de 1969-1970..!
Katmandu, jeudi 3 septembre 1970.
Oriental Lodge, 12 h…
Ne parlons pas de Siks, ils sont tous chauffeurs de taxi. La
fanfare m’a réveillé à 7 h du matin, déjà le troisième joint…
Stupre et opprobre, au propre comme au figuré, nez de
chaussée, chaussée aux moines tibétains, automne jaune fleuve, TIMBRE atone octambule,
éternelles neiges fauves de mots…
Je regarde par la fenêtre : FREAKS Street.
En contre bas des rues, des restos, sombres, voûtés,
rollingstonisés où l’on se tappe de ces plats ! De la graille, ça déborde
de partout, l’eau est bouillie à cause des microbes et personne ne
s’angoisse. De la bouffe tibétaine : momos et thukpas,
raviolis bouillis et soupe de nouilles ou légumes et pour les goinfres de
fabuleux steaks de buffle et des beignets de bananes… de la bouffe chinoise que
l’on déguste sous des portraits du Grand Timonier dans des palaces qui
s’appellent le Capital, le Lido, le Dragon… on a honte de ne plus être en
Inde ! J’peux plus causer, j’ai la bouche pleine…
JE REGARDE PAR LA FENETRE… Trois hippies posent leur vélo et
s’enfonce sous les voûtes de l’Eden Hôtel, le bouge voisin. Un népalais vend
quelques bijoux un peu toc au coin de la rue et des machettes à décapiter les
buffles.
Sur la gauche, Tashi, l’agence des Trekking est
déserte.
Li vilains dit an son respit que tel chose a l’an an despit
qui molt valt mialz que l’an ne cuide.
Putain de mousson, il flotte aujourd’hui comme hier.
Il y a même au coin de la deuxième rue commerçante cet
immense magasin de fromages. Un rêve suisse en trous de gruyère… H comme…
hiver.
Katmandu, la ville-temple.
Je regarde par la fenêtre : Freak Street.
Demain je vais louer un vélo. La vallée de Katmandou est
assez plate.
Oriental Lodge, 16h25…
Horoscope à travers un saphir bleu, une ombrelle en feuille
de bananier, crémations flottantes, séquences sceptiques, déceptions illimitées… Je feuillette France Soir.
Au Tea Room, un couple de français fraîchement débarqué par Air India via
Bénarès m’a refilé un vieux numéro du torchon : Chabban a perdu sa femme
dans un accident d’auto, JJSS a signé chez Bouglione… Y’a des quarantaine, un
peu partout à cause du choléra… J’ai acheté des sandales en caoutchouc,
découpées dans un pneu noir à un pauvre gosse, 60 paisas, ça me sert
strictement à rien. Je les balance dix mètres plus loin. Je remonte dans la
piaule et change de tunique.
Oriental Lodge, 23h 14…
J’ai fermé la fenêtre, tiré le petit rideau de velours.
J’écris à la lueur d’une bougie.
Je croise un curieux personnage, sosie de Martial, porteur
de godillots crèmes. Il s’assoit au bord d’un chemin d’argile rouge, derrière
lui un arbre de 22 mètres de haut aux feuilles vert sombre qui dansent au vent.
Quelques prunes noires secouées par la bourrasque tombent au pied de l’écorce
blanche et suppure une résine blonde. Ce n’est pas le Kerala mais la région
d’Oyen au Gabon… Il les déguste une à une… Il enfile des skis à clous et reste
planté le long de l’écorce comme un fanion de prière… J’ai soif. Je vais redescendre à l’Eden
m’offrir un Fanta citron.
Oriental Lodge,
3 h du matin…
Je remonte et replonge dans mon récit. Sa tête est un cimeterre de béton armé. J’ai
envie d’écrire cimetière de peintres maudits. Le cérémonial groupait 100
éléphants aux défenses sciées. Trois buffles furent décapités sur un swing désastreux,
une version locale d’un titre de Procol Harum, a salty dog. Le prêtre revend la testicule gauche à
Arrabal qui l’expose aux flahs de la presse. Martial découpe une crêpe de blé
noir à la rose avec une scie en dentelle. Que de mal à écrire. Les phrases
sont trop longues et précèdent ma pensée. De toute façon, c’est inutile. Plus
de papier. Too much…
Oriental Lodge, 5h du matin…
Le jeu continue entre l’individu normal et son double
halluciné. Je résiste puis je succombe.
Le prisonnier de sa culture libérée devient un être esclave de son flottement
qui efface un monde, la réalité, pour un autre, l’irréelle explosion des
sensations volup-tueuses. Hélas on ne peut vivre qu’une dimension à la
fois !
Oriental Lodge, 7 h du matin…
Eparpillé, déchiré, je n’ai plus aucun goût pour rien… Même
la défonce asphyxie. Un joueur de tambourin qui a perdu son chemin, vous savez
où il va , J’y vais… les yeux ouverts.
Je regarde par la fenêtre : FREAKS Street…la fanfare du Sergent Poivré est annoncée. J’ai fais le tour du cadran bleu…

Le Cabin Restaurant n'était pas dans Freaks' Street. C'était un endroit plus chicos mais une séquence du film de Cayatte a été tournée dans ses murs. Il passera donc à la postérité. Avec le recul (40 ans ! ) ça m'amuserait de revoir ce nanar...