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Le Tréponème Bleu Pâle
10 mai 2008

VENDREDI 10 MAI 1968

En Hommage à Lucien JEUNESSE

LE JEU des 1000 PAVES

La rue Gay-Lussac est surtout connue pour ses barricades mais savez-vous qui était Louis-Joseph Gay-Lussac ???

Cancre_Las

En collaboration avec Thenard, il montra que le chlore est un corps simple et il découvrit le bore !

Comme quoi, ce n'est pas un hasard si ces évènements se déroulèrent

ICI...

Mais retrouvons Léon Cobra

&

Cap'tain Apogée

en direct du vendredi 10 MAI 1968...

EnDirect_de_Mai68Cobra

Vendredi 10 Mai 1968.

9H du soir… Le cortège passe devant

la Mutu. Sur

le trottoir, les gens applaudissent. Au premier rang à quatre vingt cinq centimètres de moi, Léo Ferré, il jubile, il a bien semé sa graine d’ananar. La foule scande Léo avec nous ! Le Vieux rayonne ; un clin d’œil : salut Beatnick ! A la fin du gala, les anars rejoindront les diverses barricades du Quartier Latin mais d’autres n’écouteront pas Léo ce soir là, ils ont déjà pris place dans les entrailles du boa constrictor. Le reptile ondule, respire, tangue, crache, broie. Les premiers drapeaux noirs surgissent. Un magma libertaire se constitue.

Enchaînez-vous ! Coude à coude, bras dessus, bras dessous, collé à son voisin, à sa voisine, à son odeur, à son parfum. Ho-Ho HoChiMin ! Che-Che Guevara ! Entendre son coeur battre quand la foulée s’accélère, sa voix reprendre le mot d’ordre, déli-délo de sprints, des dizaines, des centaines, des milliers de regards complices.

Déchaînez-vous ! Je me lance : Li-ber-té ! A-nar-chie ! J’ai hurlé seul dans un moment de silence, sensation paralysante mais l’écho me répond ; trois voix puis dix puis trente. Sentiment de puissance. Proudhon-Bakounine ! Un autre s’y essaie, éructe et de nouveau l’écho amplifie son cri, sa plainte, sa haine… Tout état est policier ! à bas la répression !!!

Ainsi s’éclate la foule… Les services d’ordre et les sonos musclées des organisations ne verrouillent pas encore la libre parole des hurleurs assoiffés. C’est une cérémonie publique vaudoue, un rite d’initiation païen, une procession laïque, un exorcisme baroque, un carnaval de désirs, un immense happening nomade…

All the world a stage and all men and women merely players… ( W. SHAKESPEARE )

Gala_Mutu_Ferr_

Une heure plus tard.

La nuit tombe sur le Boul’Mich. La manifestation est arrivée à son terme mais personne ne veut partir. C’est presque irréel, il règne une frénésie électrique. Les motards des radios périphériques fendent la foule. Les transistors crachotent d’ubuesques tractations entre les pseudos représentants de l’ordre et du désordre. Les habitants du quartier sont à leur fenêtre ou sur le pas de leur porte. On se parle, on se touche, on fume des cigarettes, on boit de l’eau ou du café. Chacun a brisé son halo de solitude. Des slogans guerriers fusent par saccades nerveuses puis la rumeur enfle, dévore l’obscurité, j’avance somnambule. HALLUCINE. En face de l’immeuble situé au 70, rue Gay Lussac ( à l’endroit où se trouve aujourd’hui des labos de l’institut Curie ) un immense chantier de travaux publics va offrir la matière première à la construction d’une barricade que n’aurait pas renié Gavroche. Des casques de chantier, des outils, des morceaux de palissade, des sacs de ciment, des rouleaux de fils de fer jaillissent. Des voitures sont retournées. Les rues s’éventrent. Des chaînes spontanées se forment. Les pavés volent de main en main puis s’entassent à trois mètres de hauteur. Des chants révolutionnaires retentissent. De franches déconnades éclatent. Une trentaine de barricades referment le Quartier Latin sur lui même. Un camp retranché ; c’est la commune de Paris de 1871 en miniature. Trois silhouettes extravagantes transpercent la foule. Stupéfait, je vois apparaître trois anciens copains du lycée Rodin travestis en guérilleros urbains : Paul des Roches, casqué, botté, ganté, grand manteau long en cuir noir, foulard sur le nez ; Stef qui a remplacé Jean-Louis dans le Jug Band depuis qu’il est parti aux States pour un an, en parka et basket tenant une pioche et B. le divin chauve, connu pour ses sympathies pour l’O.A.S. tout casque et cuir, porteur d’une barramine. Ils rigolent en me dévisageant. Avec mes boots, mon jean pat d’ef, mon col roulé à cible et ma veste de velours rouge, j’ai l’air d’un touriste en goguette. Dans le film qu’on tourne ce soir, j’ai incontestablement hérité d’un  second rôle insignifiant…

Cobra

EnDirect_de_Mai68_b

La nuit du 10 mai

Il est 21 h quand j’arrive boulevard Saint-Michel. Il y a beaucoup de monde, des étudiants, des lycéens et des curieux aussi. Je descends le boulevard, c’est un peu une atmosphère de kermesse, on se promène, on discute, on s’assoit par terre en rond pour échanger idées et infos, ici commenter l’attitude du PC qui est au centre de bien des conversations, ou là écouter un journaliste revenant de Tchéquoslovaquie…

Mais à chaque coin de rue autour de la Sorbonne et vers la place Saint-Michel les CRS sont là en nombre… On écoute la radio, des gens ont même mis leur transistor aux fenêtres de leur appartement. C’est le début du dialogue de sourds entre Geismar et Roche.

Peut-être parce que tout le monde se doute que cette attente va aboutir à quelque chose de grave, certains commencent à dépaver, et des barricades commencent à s’ériger surtout rue Gay Lussac, faites exclusivement de pavés au début… Plus le temps passe, plus les barricades se montent en utilisant cette fois voitures renversées, poubelles, poteaux, palissades, etc… Le quartier de la rue Gay Lussac ressemble à un camp retranché. On sait par la radio que le dialogue est rompu avec le gouvernement. Les bars se ferment, les gens aux fenêtres s’inquiètent, on se doute maintenant que ça va inévitablement se terminer en baston. Je me retrouve rue d’Ulm en compagnie de deux filles équipées de cirés et de casques. Des normaliens aux fenêtres ou sur le toit refusent de se munir de projectiles, ils ne veulent pas tuer de flics disent-ils. « Salauds de pro-chinois » leur crie une des deux filles…

Au bout de la rue d’Ulm en face le Panthéon il y a une très haute barricade de plus de deux mètres, je monte en haut du petit immeuble en construction à l’angle. Quelques mecs y sont déjà, munis d’énormes parpaings et de boîtes de clous. D’ici on voit la rue et on aperçoit quelques centaines de CRS massés. Je préfère ne pas rester là…

Je retourne vers la rue Gay Lussac où l’on commence à fabriquer des cocktails Molotov.

Devant les barricades les munitions s’amassent : clous, pavés, etc… tout ce qui peut être lancé. Et puis l’on apprend tout à coup par la radio que les flics chargent la première barricade boulevard Saint Michel ! Les curieux, les vieux intellos sympathisants, les lycéens pour la plupart quittent le terrain. Nous nous barbouillons la figure de bicarbonate de soude contre les gaz lacrymogènes…mais on nous avertit que les CRS utilisent aussi des bombes au chlore, et par crainte de la réaction chimique il faut enlever ce bicarbonate. Des gens à leur fenêtre nous lancent des citrons dont le jus imprégné sur un mouchoir est efficace contre les gaz. Des vielles dames nous descendent avec une ficelle des paniers remplis d’oranges et de gâteaux. Des mots d’ordre contradictoires se succèdent. Le meilleur est d’écouter les transistors qui informent de l’avance des CRS. On apprend que tout le boulmich est envahi et que les premières barricades de la rue Gay Lussac sont tombées.

Les pompiers consternés n’arrivent pas à ranimer un gazé. Je remonte le courant des fuyards souvent blessés. Dans les porches des immeubles, des médecins et infirmiers ont improvisé des postes croix rouge. Des blessés graves sont amenés sur des civières : des bras cassés, des visages en sang, des évanouis…

Au bout de la rue Gay Lussac, vision extraordinaire, apocalyptique, je me crois en pleine guerre civile, les combats font rage, toutes sortes de projectiles s’écrasent sur les CRS. Des grenades et des bombes au chlore éclatent en faisant un énorme vacarme. Les barricades prennent feu, les réservoirs des voitures explosent. Cris de douleur, clameurs de rage, insultes, slogans. Du toit des immeubles sont lancés des cocktails Molotov, ça flambe sur la chaussée comme du napalm. On ne peut plus respirer, je m’enfuis. Dernière vision en me retournant, impressionnante : des centaines de CRS chargent au pas de course, une vingtaine de manifestants casqués et masqués les attend en chantant l’Internationale au milieu des flammes

de trois mètres de haut. On essaie de revenir vers eux mais c’est irrespirable, alors à notre tour de clamer l’Internationale puis un énorme CRS SS, et tout le monde se retire en désordre.

Je retourne rue d’Ulm.

Un bruit court : on raconte que des ouvriers de la banlieue nord se battent contre les CRS à Strasbourg Saint Denis et qu’il faut tenir le coup jusqu’à ce qu’ils viennent nous rejoindre. La nouvelle bien que douteuse est accueillie avec ferveur, si c’est vrai c’est la révolution !

Mais beaucoup de monde fuit vers la rue Claude Bernard qui n’est pas encore barrée par la police. La barricade du bout de la rue d’Ulm est en feu et les flics ont pris à revers ses défenseurs.

Nous sommes devant Normale Sup, le jour se lève. On demande de l’eau aux habitants contre le chlore, on nous en envoie des seaux. Je suis trempé. Je vois que les CRS ont pris toute la rue Gay Lussac, nous allons être encerclés. Des flammes partout, surtout les voitures. Les flics sont au bout de la rue, ils arrivent. Chacun prend son pavé ou sa poignée de clous, on attend. Heureusement tout à coup Normale Sup nous ouvre ses portes, c’est la ruée dans l’école. Nous grimpons les étages. Je me retrouve avec d’autres sur le toit, pour voir si on peut s’enfuir… mais les rues sont noires de CRS, on voit quelques mecs isolés qui résistent encore en lançant des pavés. Les CRS nous ont vus et nous lancent des grenades au fusil. C’est très risqué de rester sur le toit, mieux vaut rentrer. La police a encerclé l’école, que va-t-elle décider ? A tout hasard on a construit des barricades de chaises et de tables dans les escaliers. Mais rien ne se passe. On squatte les chambres des normaliens pour se reposer. Il est 7 h quand je monte avec d’autres dans un grenier rejoindre un groupe qui a la radio, on somnole, on écoute les commentaires des journalistes. Vers 8h et demi on peut partir un par un ou en petits groupes, les CRS ne sont quasiment plus là.

Je prends le métro à Censier Daubenton au milieu des gens qui partent au boulot. Je suis très sale, crevé, hagard. Les gens me regardent bizarrement … Je retourne dans ma piaule minable sans fenêtre d’un meublé de Montmartre, je n’ai plus de boulot, j’ai été démissionné, je fréquentais plus les manifs que mon lieu de travail, mais je suis ivre de cette nuit folle…

Cap’tain Apogée

Lance_pierre

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