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Le Tréponème Bleu Pâle
6 mai 2008

Lundi 6 MAI 1968




Cogne


Lundi 6 mai

 

 

Vers 10 h du matin nous ne sommes que quelques centaines à assister à un meeting devant la Sorbonne entourée de flics. Pour la première fois certains orateurs parlent d’autre chose que d’une simple réforme de l’université… « C’est l’état bourgeois qu’il faut abattre »…

Dans une petite rue, un groupe a reconnu un des membres du comité central du PC, et une discussion orageuse s’engage avec ce communiste qui essaie de justifier la position de l’Humanité vis à vis des manifestations de vendredi dernier. Cela me rappelle qu’an centre de tri où je bosse la nuit, les militants CGT n’arrêtent pas de harceler les chevelus, anars et autres beatniks, comme moi, en leur disant de ne pas aller aux manifs d’étudiants qui sont « tous des fils de bourgeois » !

Au début de l’après-midi, je sors d’un cinéma où je viens de voir un film d’Andy Warhol et je rejoins le défilé boulevard Saint Michel ; plusieurs milliers de personnes, quelques drapeaux rouges, l’Internationale et les habituels slogans. D’ailleurs « c’est la lutte finale groupons nous et demain… » ça revient toujours aussi comme un slogan !

 

Les CRS barrent la rue Saint Jacques.

Pendant quelques secondes, les deux côtés s’observent.

Tout à coup, sans avertir, les CRS chargent, matraque en main. C’est la panique.

Me trouvant dans les premiers rangs, je suis bousculé, renversé, à moitié piétiné. Je réussis à m’enfuir. Dans ma course, je me retourne et, spectacle affligeant, une dizaine de personnes sont étendues par terre, un étudiant assis au milieu de la rue se tient la tête toute ensanglantée…de nombreux sacs, livres, chaussures, lunettes, parapluies, etc…jonchent le sol.

Nous continuons à courir vers le boulevard Saint Germain puis vers la place Maubert. Hors de portée des CRS, on fait volte face, c’est la colère.

Des voitures sont mises en travers du boulevard. Avec d’autres nous renversons une petite Triumph décapotable. Des panneaux sont arrachés et l’on commence à dépaver.

Les CRS arrivent, échange de grenades et de pavés ( qu’ils ne se privent pas de relancer ).

On recule, on revient… et puis tout à coup une charge au pas de course ! Nouvelle panique. C’est la fuite dans tous les sens. Quelques naïfs s’assoient par terre et nous crient d’en faire autant : ils manquent d’être piétinés…

Les flics courent vite, et j’ai juste le temps de m’engouffrer dans la bouche de métro Maubert Mutualité. Quelques grenades lacrymogènes sont lancées dans les couloirs du métro, au grand émoi des passagers, et les sorties sont barrées… Le poinçonneur bienveillant nous laisse passer sans ticket et nous descendons à la station suivante Cardinal Lemoine. Nous retournons vers la place Maubert.

Là c’est la bagarre : d’un côté les CRS en rangs serrés n’avancent pas tellement ils sont harcelés de pavés, de l’autre des centaines de manifestants assez clairsemés qui crient mais ne se battent pas… et entre les deux quelques dizaines souvent masqués, qui seuls tiennent en respect la police par le jet continuel de toutes sortes de projectiles. Il y a de nombreux blessés dans les deux camps, les ambulanciers ne font qu’un va et vient ininterrompu. Les CRS lancent en l’air au fusil des grenades qui en retombant font souvent un blessé.

Une baraque en bois flambe place Maubert, un fourgon de police a ses vitres cassées à coup de pavés…

L’UNEF lance un mot d’ordre : rassemblement ce soir à 18 h30 à Denfert Rochereau.

 

Cogne22

A 18h en face du lion nous attendons sur les pelouses du square. La foule arrive petit à petit et bientôt la place entière est noire de monde. Des tracts sont distribués, des journaux ( le numéro 1 d’Action…), quelques uns prennent la parole, on attend les ouvriers de banlieue…qui ne viendront pas.

La manifestation se dirige boulevard Raspail, banderoles et drapeaux rouges en tête… des slogans «  A bas la répression », « Peyrefitte démission », « Etudiants solidaires des travailleurs », « la Sorbonne aux étudiants » etc. etc… Un anar qui propose « A bas l’état » se voit vertement ordonner de la fermer.

Pas un flic en vue… des professeurs, des intellos sont aussi dans la manif en partie composée d’étudiants peu rebelles voulant seulement réformer l’université…

Mais quand le cortège arrive vers le boulevard Saint Germain les CRS sont là en très grand nombre. Alors c’est l’émeute, ne restent que ceux qui veulent en découdre, dépavage à la hâte, et une chaîne se forme pour faire parvenir les pavés aux combattants des premiers rangs…La nuit commence à tomber, les flics ont chargé avec une voiture de pompiers qui arrose tout le monde. C’est la fuite dans les petites rues de Saint Germain, deux filles surexcitées remontent le courant des fuyards et ordonnent de retourner au baston, elles insultent et engueulent tout le monde. Au bout de la rue Bonaparte sur les quais Mouna sur son vélo nous regarde arriver en jubilant dans sa barbe, il se revoit à la libération de Paris en 44…

Nous attendons les autres, on ne sait plus quoi faire, on entend les clameurs de la bataille qui fait toujours rage vers le boulevard. Nous sommes quelques centaines. Les uns veulent retourner au baston, d’autres aller foutre la pagaille à l’autre bout de Paris devant la Bourse du travail, d’autres rentrer chez eux… Devant tant d’hésitation d’aucuns prennent la parole…mais en fin de compte, chacun fait comme il veut.

Je me retrouve avec d’autres, une bonne centaine, à partir pour la Bourse du travail. Nous traversons les Halles en chantant l’Internationale sous l’œil hostile et furibard des commerçants et forts des halles au boulot ( on ne s’y attarde guère !).

A la République tout le monde est crevé, quelques prises de parole dont celle d’un militant ouvrier du Parti communiste international.

Il est minuit. La police arrive. Tout le monde se disperse. La journée a été longue…

 

Cap’tain Apogée

 

Face___Face

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Commentaires
A
Superbes textes ...<br /> On a l'impression de recevoir les pavés en pleine troche, c'est exitant !
Répondre
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