NEIGES sur HERAT
( 4 )
FRAGMENTS
( 1 )
Galeries simiesques, les porteurs du Germe débouchent sur
tes douves.
La Route
est trop peuplée… Des voyageurs
sans écusson, sans civilité… Le carnassier s’apitoie sur ses victimes…Un
dernier regard au Grand Astre puis il leur dévore les entrailles… Les lourdes
ailes du rapace, charognard de pavot.
Une chaleur torride… Atroces atonies.
( 2 )
Je gis au sol. Vaporeux.
Claudius dégringole dans l’escalier crépusculaire et se
foule la cheville.
Serge titube au milieu des calèches.
Dominique vomi par la lucarne.
Ombres émaciées, halos vacillants, entre deux portes de bois
massifs, la robe transparente de
la Suissesse
laisse apparaître trois pochettes
brodées cousues main, passeport, chèques de voyages et shooteuse.
( 3 )
Ali Khan veut notre photo.
- Please mister, please
madame.
- May be to morrow.
( 4 )
On a trouvé cet hôtel de luxe à la périphérie d’Hérat dans
un environnement fleuri avec piscine et boissons glacées. On s’installe comme
des nababs devant un Pepsi ou un Fanta orange dans une chaise longue en maillot
de bain. On plonge . On nage. Au début le boss a tiqué, des Freaks, ça le gênait et puis il a
découvert les effets secondaires, des nanas en maillots de bain, ça fait
marcher le commerce. Le bar et la terrasse affichent complets. Douches,
shampoing et bronzette, on se refait une santé. Des touristes en vacances,
quelques heures bien ordinaires.
Le soleil, la journée .
Les ténèbres,
la Nuit.
( 5 )
Le vieil afghan m’a attiré chez lui. Il ne comprenait pas
l’anglais. En quoi me parlait-il ? Patchoune, azara, tadjik,
aïmak ??? C’était rustique, sombre,
bas de plafond. Il m’a sorti une plaquette de Hasch de la taille d’une tablette
de chocolat et a désigné ma montre ; il voulait ma Lip plaqué or, le
cadeau de ma grand-mère pour ma communion. J’ai fait non de la tête et sortit un stylo 4 couleurs. Ce type
ne savait surement ni lire ni écrire et il n’avait certainement jamais vu ce
genre d’ustensile. J’ai arraché une feuille de mon carnet de route à spirale et
tracé un bâton rouge puis vert, bleu et noir. Crédule, ll a désigné de nouveau
avec insistance ma montre. J’ai sorti mon briquet, un Criquet de couleur
rouge et fait jouer la flamme comme pour un rappel de concert rock. Inutile, il
voulait ma montre. Le H à Hérat c’est comme le Chablis en Bourgogne, suffit de
se baisser. Je me suis engagé vers la sortie. Il m’a retenu par la manche. En
bougonnant il acceptait la transaction. Il devait en avoir des dizaines de
cette taille en réserve. La montre, il l’obtiendrait un de ces quatre avec un
autre hippy. J’étais pas très loin du fortin, j’ai retrouvé facilement mon
chemin. Je suis revenu avec mon chocolat noir comme un gosse qui sort de la
confiserie, totalement béat…
( Photos : Cap'tain Apogée )
( 6 )
Serge et Jonas sont venus nous accompagner à la gare
routière d’Hérat. Les deux zonards avaient les larmes aux yeux. Ils nous ont
longuement serrés dans leurs bras, une étreinte irréelle.
- Claudius vous rejoindra
à Kabul ou à Delhi ; il peut toujours pas marcher avec sa cheville foulée.
- Messages à la poste
restante comme dab.
- OK. On lui redira. On en a préparé un monstrueux
pour
la Route.
Jonas a sorti son shillum. On s’est explosé la tête une
dernière fois, ensemble.
Le bus a démarré vers Kandahar . Ils fixaient notre
reflet, hagards. La poussière, les vitres, la musique à fond … deux fantômes.
- Tu crois qu’ils vont
s’en sortir ? m’a fait Joëy.
- Boff… J’ai préféré ne pas répondre.
- Incroyable leur
réaction, ça m’a vraiment touché.
- Ouais, la horde,
c’était une communauté errante. Ils y avaient vraiment leur place maintenant
ils n’ont plus que la came…
Un instant j’ai eu honte de mes paroles puis mes démons sont
venus me visiter :
Sombre, sombre dans
l’Infini
Tombe, tombe dans la
vie
Je rêve, rêve au
firmament
Sans trève, trève, je
me mens…
( 7 )
Martial, Charles, Claudius et Cap’tain Apogée sont revenus
par la même route en Novembre, transis de froids, fauchés, exténués. Pour eux ce dialogue fictif :
- Tu les vois autour du
bus ?
- Quoi ?
- Ces troupeaux de
chiens errants qui nous suivent !
- Abruti, ouvre tes yeux
ce sont des loups !!!
- Putain
d’angoisse ! DES LOUPS !!!
Petit rappel historique pour les Nuls :
La spirale de la guerre
Au début des années 1970, l’Afghanistan connaissait de graves problèmes
économiques, notamment liés à la sécheresse. De jeunes officiers, accusant le
roi Mohammed Zaher Chah de mal gérer la crise et de bloquer toute réforme
politique, renversèrent la monarchie en juillet 1973. Ils proclamèrent la
République et se rapprochèrent de l’URSS. En 1979, l’opposition grandit sous la
direction de la guérilla des Moudjahidin. L’URSS envoya ses troupes soutenir
ses alliés à Kaboul. Mais elle se heurta à la résistance des Moudjahidin,
soutenus par l’Occident. Entre le retrait soviétique en 1992 et 1996, la guerre
civile fit rage. Le chaos permit aux talibans de prendre le pouvoir. Ils en
furent chassés en décembre dernier par les forces lancées par les Etats-Unis à
la poursuite d’Oussama Ben Laden.
1972
Le temps ne
passe pas à Hérat. Tout est un jour continuel… il y a la vie, la misère,
la Mort.
Deux ans de
sécheresse, deux mois de pluies diluviennes, la mort des troupeaux.
Agrippé,
tiraillé, harcelé par des gosses aux yeux merveilleusement attirants, aux
jambes repoussantes de purulence.
Tous les
nomades qui sont descendus de la montagne se trainent à la recherche de leur
vie ou attendent mystiquement une mort de décomposition…
Et puis y’a
notre Hérat !!!
Celui de la
défonce, celui des rencontres… rien que des moments ; je vous aime en
pensant aux instants que nous avons passé ensemble, que nous repasserons…
Perdons nous pour se retrouver plus beaux !
Je ne suis
jamais venu à Hérat ; j’y reviens neuf ; Le sang transfusatoire des
chillums coule dans mes veines.
Demain
Kabul.
LOVE
Dominique.