AMOUGIES 69 ( Part 3 )
dans la gadoue d'AMOUGIES
Marie
portait la caisse claire, je la suivais transportant le tome alto. Marc
finissait de clouer sa grosse caisse sur le bois de la scène. J’avais revêtu
une ample djellaba noire au col de broderies blanches qui traînait dans un coin
des coulisses comme Mick Jagger en Mars 1966 à l’Olympia. J’me prenais les
pieds dans les pans du vêtement ; pas vraiment pratique pour escalader le
podium. François Garrel branchait ses pédales. Les guitaristes s’accordaient.
Annonce du speaker… maigres applaudissements… douze secondes de plomb… La
tension est extrême, palpable ; l’adrénaline céleste. On s’est reculé à
l’arrière de la scène. Marie salue Jérome Laperrousaz et son équipe qui filme
déjà.
AME
SON : FLOWER POP
Hameçon,
Ame Son , le fils de
l’âme ??? On connaît pas ce groupe
.. !
Noir… juste le bruit des baguettes de Marc
donnant le tempo… Lumières… Septième Temps Clef… La basse vrombit, la batterie cogne, la flûte
s’envole, la guitare déchire… Seventh Key Time… éclosion des éléments qui
s’enchaînent… eau, terre, air, feu…
Alchimie des éclairs, tourbillon de cascades, nœuds dans l’éther, une plainte
déchire l’espace et le temps… Cri de la naissance. La voix de Marc survole la
lame de son : I just want to say . Pari gagné !
Ils n’ont pas tremblé et le public vibre. Le rythme assymétrique
s’estompe, ralentit… nous ne serons
qu’un quand viendra la fin… une
phrase répétée jusqu’à son paroxysme… orgasme sonore en français… Arrêt
impeccable, tranchant… Souffle coupé, le public désarçonné tarde à réagir…
Silence- pupille, les premiers applaudissements suivis d’autres plus nourris,
plus chaleureux. C’est gagné, l’affaire est pliée, ils n’ont plus qu’à dérouler
l’album Catalyse… on était allé les rejoindre à Londres avec
Nathalie Nell pour l’enregistrement d’une partie de leur 33 tours juste au
début du mois. Patrick Fontaine conduisait une déesse 19 couverte de PV. Une
facture que nous avons laissé à la Perfide Albion pour protester contre la
dissolution des Beatles… Les titres s’enchaînent :
chrysalide, unity, comme est morte l’évocation, de quelle tribu es-tu, le
mal sonne… je plonge mon regard dans l’assistance. Au troisième rang,
j’aperçois Ronald et Marie Laure, valeureux rescapés du camping, qui mitraillent zoom Zen ; à quelques Nikon
de là, Jérome Laperrousaz filme encor et toujours… Fausse sortie. Un rappel…
Ame Son termine par à coup de hache. Le monde change, vacille… les
tables tournent, les sables mouvent… Charles Manson et sa secte de déments
assassinaient Sharon Tate sur les collines d’HollyWood après avoir écouté sous
acide Helter Skelter des Beatles. Sur les murs en lettres de sang Pigs…
ces pauvres flippés déchiffraient des messages subliminaux dans les textes du
White Album… Les sabres ouvrent, les tarent bougent…
Les
quatre musiciens saluent : merci. Merci à toutes et à tous .
Peace. A bientôt.
Philippe
Garrel,flute et Marc Blanc, guitare.
Supplément
d’AME : Petit morceau de bois, qui,
placé dans l’intérieur d’un instrument à cordes, communique les vibrations à
toutes les parties de l’instrument. ( Latin : anima)
Bande
SON : sert à l’engraissement des
animaux de basse cour. (Latin : sonus)
Epilogue.
Marie Rivière relayait souvent Patrick au volant du
mini bus. Le groupe a tourné de MJC en festival avec Jacques Dudon en première
partie. Il jouait en open, la guitare sur les genoux.
J’ai abandonné progressivement mes études pour
devenir un marginal. Je lâchais la proie pour l’ombre. Pour le plaisir,
je suivais encore deux cours à Censier ; avec Jean Maitron, le mandarin du
syndicalisme révolutionnaire ainsi qu’une unité de valeur exotique consacré aux
sociétés secrètes en Chine, un épisode inédit de Tintin et le Lotus Bleu.
Jack Kerouac et Brian Jones ont ouvert la liste des
cadavres exquis, premiers de la classe J comme… junky.
Enfermé dans ma piaule, j’enchaînais les nuits
blanches au rythme du solo de batterie de in a gada da vida de Iron
Butterfly, fumant un mélange sucré de H et de Clan dans une bouffarde en écume
de mer. Je réécrivais la Saison en enfer et les Illuminations sur
une vieille machine à écrire récalcitrante, des centaines de feuillets. J’ai
détruit toutes ces pages dans un accès de déprime quelques années plus tard. Je
le regrette aujourd’hui.
Début Juillet nous avons fait le grand saut avec
Joëy Faré : un aller simple Istanbul et un billet open Bombay-Paris !
Nous sommes partis tout au bout de La Grande Route, au pied du
toît du monde. De repaires en repères, Pudding Shop à Istamboul, le Bagdad
Hôtel à Téhéran, le Najib Otel à Kabul, l’Oriental Lodge à Katmandu , nous
suivions les traces des précédents pour nous perdre et nous découvrir. Nous
fracassions notre couple, nos egos, nos jalousies, nos désirs aux réalités
glaciales du quotidien.
Après la froidure d’Amougies, Ame Son a vécu la
canicule de Biot. Autant l’automne fut une réussite, une immense communion
entre public et musiciens, sans flic, sans S.O. musclé, sans arrière pensée,
autant l’été fut un fiasco, stars
obnubilés par le fric, organisation défaillante et groupuscules infantiles .
Ame Son et Gong firent honneur à leur réputation mais Biot périclita ; un
véritable gâchis et ce n’était que le début. Marcellin reprit la main. Il
interdit les maos et les festivals de Pop Music pourchassant
impitoyablement toute contestation politique, artistique et même capillaire. Le
pays était coupé en deux, l’après Mai allait mettre dix ans à se cicatriser…
Une inscription bombée sur la vespasienne du boulevard Arago le 31 décembre 1969 résumait bien notre état d’esprit … Nos cheveux ne seront jamais aussi longs que notre dégoût… ( signé le Freak Inconnu )
L’amer
du Nord… JJB alias Caddy alias Léon Cobra en 1969.
Gadougies FIN Gamougies