AMOUGIES 69 ( Part 1 )
AMOUGIES 1969
Un Road-Moovie dans la gadoue…
25 octobre 1969…
Le vieux tube Citroën chevauchait les ornières,
glissait de nids de poule en bas coté fangeux. Je ressentais l’impact des chocs
dans la colonne vertébrale jusque sous les vertèbres de la nuque. Des rafales
de pluie se fracassaient contre les portières de tôle. Le véhicule patinait,
dérapait puis se reprenait au sortir d’un virage pour défier la bourrasque. On
était cassé par 10 heures de route, coincé entre les amplis Marshall, les
houses de batterie et les étuis de guitares. Trois sur la banquette avant…
Patrick Fontaine, le bassiste, le seul membre d’Ame Son, a avoir
son permis de conduire, François Garrel, le flûtiste et Marie Rivière. Trois à
l’arrière… Marc Blanc, le batteur, Bernard Lavial, le guitariste soliste, qu’on
appelait Solo ,et moi même. J’avais abandonné mes célèbres chaussures de
golf, marrons et blanches, qui me valait le pseudo de Caddy pour de
vénérables pataugas plus adaptés à la situation actuelle. Allongés sur
des cousins indiens et des duvets jetés sur les matelas qui couvraient le sol
en ferraille, on colmatait une infiltration à l’aide d’une couverture marocaine
roulée en boule comme une serpillière. Le chemin était défoncé ; on était
défoncé par le bruit et les secousses. On fumait, on grignotait, on buvait, on
déconnait entre l’écoute d’un vieux transistor et la lecture du dernier Hara
Kiri Hebdo. On avait quitté la France, les zones urbaines pour s’enfoncer dans
la campagne belge, la nuit était tombée, épaisse, hostile. Les phares trouaient
une obscurité de labours et de bosquets, les essuies glaces balayaient sans
relâche la vitre avant du camion, les phalènes dansaient dans ma tête,
j’entendais the black angel’s death
song du Velvet Underground, une version pirate pour marteaux piqueurs,
soubasophones et perceuses. On devait être à quelques kilomètres du bonheur…
Un trio infernal : Mister Ed,
Jojo Clopidou et Black Jack.
- Qu’est-ce qu’on dit aux jeunes,
monsieur le président ?
- Allez vous faire voir chez les
Belges !
Du
15 au 18 août à Woodstock dans l’état de New York, quatre cent mille personnes
avaient applaudi the Who, Ten Years After, Santana, Joan Baez, Arlo Guthrie et
bien d’autres. Viet-Nam rimait avec napalm. Les Boys ne voulaient plus crever
dans les rizières, ils désertaient, gagnaient le Canada ou Amsterdam, la
capitale branchée de la Vieille Europe. Country Joë Mac Donald avait
envoyé un spécial FUCK à Nixon, la peste, avec son acoustique I’m fixin to
die rag, repris en cœur par une foule hilare, Jimi Hendrix avait exécuté the
Star Spangled Banner à l’aube d’un jour nouveau et the Crowd Rain Chant était
devenu l’hymne officiel de rappel des concerts pop de toute la planète. Seul
Pete Towshend avait pété les plombs en
projetant d’un coup de poing Abbie Hoffman, l’alter ego de Jerry Rubin, hors de
la scène. Fausse note anecdotique, la presse médusée avait titrée : trois jours de paix et
d’amour !
Nous
aussi, on en rêvait d’un grand festival . Actuel et Byg Records s’y
collèrent donc avec enthousiasme puis pugnacité puis amertume.
L’après Mai avait accouché de dirigeants ultra conservateurs ; le parti de la peur avait élu Georges Pompidou pour remplacer De Gaulle qui avait démissionné en avril 1969 au lendemain d’un référendum où le peuple français avait rejeté son projet de régionalisation et de réforme du sénat. Son ministre de l’intérieur Raymond Marcellin, alias Ray la Matraque, avait été nommé en juin 1968 pour palier aux insuffisances de Christian Fouchet, son prédécesseur, largement mis en difficulté en mai. Enfin Fouché, le vrai ! avait paraît-il tonné le général dans un écho humoristique divulgué par la presse bonapartiste toujours avide de ses bons mots.
Affiches de MAI 68
En un mois de tout répressif, le pays avait
retrouvé l’ordre, l’essence et l’ORTF. Le capital et le travail s’étaient
réconciliés lors d’une grande messe des salaires, les accords de Grenelle,
la plus grande avancée sociale depuis 1936 mais cela ne nous concernait pas,
nous étions ailleurs, nous étions Higher, nous étions devenus des Freaks !
Aux States, en Italie, en
Allemagne, en Hollande, au Royaume Uni, en France, le vieux monde se
fissurait, la contre culture jaillissait, partout ça bougeait ! Le
mouvement underground français
s’appuyait sur un triple héritage. L’influence des poètes maudits du 19ème
siècle, Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud et des mouvements littéraires
parisiens, dadaïsme, surréalisme, lettrisme et situationnisme. La tradition
révolutionnaire des barricades, La Commune, La Libération et bien sur présent
encore dans tous les fantasmes le Mouvement étudiant de Mai-Juin 1968. Dernier
impact ,le plus populaire, la Rock culture et ses chefs de file
strictement musiciens ou plus ouvertement contestataires ou radicaux comme John
Lennon, Bob Dylan , les poètes de la Beat Generation ou Frank Zappa. Un
cocktail de politique, de guitares électriques, d’énergies nouvelles et de
défonces qui effrayaient et fascinaient la majorité silencieuse. C’était un
défi, une angoisse, une attente, l’événement de l’ automne. Tout le monde
flippait . On comptait les coups, les rumeurs circulaient, les groupes se
motivaient, on imprimait les affiches. Ce festival de cinq jours mariant rock
progressif, blues anglo-saxon, pop française, free jazz et musique
contemporaine devait avoir lieu à Saint Cloud puis sur les pelouses de Reuilly
mais Raymond n’aimait pas les gauchistes, il venait d’ailleurs d’interdire le
défilé du Premier Mai, il n’aimait pas non plus la Pop, il détestait les
cheveux longs et il haïssait la jeunesse, aucune raison de s’emmerder avec un
festival de musique, il interdit purement et simplement le rassemblement après
d’innombrables tergiversations. Les organisateurs furent obligés de s’exiler en
catastrophe de l’autre coté de la frontière et d’entonner La Brabançonne
sur le Mont-de-l’Enclus. Le premier festival ( The first Paris Music Festival)
parisien se déroulait donc…. à Amougies près de Coutrai en Belgique !!!
L’une des affichettes
annonçant le festival organisé par Byg et Ricard ( !!! )
@ suivre...